+855 11 239 064 tp@service-attitude.com    

The Groupon Paradox. Incidences économiques pour les restaurants

Par Thierry Poupard
This article has been published in English on this blog.

J’ai eu récemment l’occasion de lire un article d’un consultant – formateur en marketing dans lequel il encourageait les restaurateurs à « faire découvrir l’établissement à de nouveaux utilisateurs » via une opération avec Groupon. Et de conclure sur la nécessité de bien calculer « le prix affiché (non payé par le client) et la remise » pour que l’opération soit rentable pour tout le monde. Hum, pas claire et un peu courte comme recommandation…

A plusieurs reprises, je me suis posé la question de ce que pouvait attendre la restauration de Groupon et de ce qu’il fallait penser des mega deals, one day deals et autres promotions à -50% minimum. Aujourd’hui, je souhaite aller plus loin et regarder les limites de telles opérations. Le graphique ci-dessous représente les courbes des charges fixes et variables, des Chiffre d’Affaires et les revenus et pertes d’un établissement dans les deux cas extrêmes où 1/ la totalité des clients payent le prix normal et celui 2/ où tous profitent d’une promotion à -50%. Bien entendu, la vérité est entre les deux mais on voit déjà que la perte du restaurateur dans le cas de la promotion est supérieure à son revenu sans promotion.

Prenons l’exemple simple d’un restaurant d’une capacité de 40 couverts et dont le compte d’exploitation simplifié aurait cette allure à partir d’un CA ou Ticket Moyen de 35 €
– Charges fixes : 25%, soit 8,75€
– Frais de personnel : 30%, soit 10,50€
– Coût matières : 30%, soit 10,50€
– Revenu Brut d’Exploitation : 15%, soit 5,25€.
Il est bien évident que ces pourcentages varient d’un établissement à l’autre en fonction du type de cuisine, du mode de service, de la masse salariale, du loyer… mais ils reflètent néanmoins une certaine réalité. Par ailleurs, nous ne nous encombrerons pas de chiffres avec et hors TVA pour la simplicité des calculs.

D’un côté un client « normal » rapporte 5,25€ en moyenne, de l’autre une opération à -50% sur le prix de vente à la Groupon consiste à ce que le restaurateur vende au client le repas à moitié prix et rétrocède à Groupon une commission égale à la moitié de cette vente, arguant que la société a apporté 8,75€ de CA additionnel grâce à sa publicité. Voilà le premier paradoxe : le restaurateur doit raisonner en revenu et non en Chiffre d’Affaires alors que, pour Groupon, c’est l’inverse.

Le client bénéficiant de la promotion à -50% exerce l’effet suivant sur le RBE :
17,50€ (prix de vente promo) – 8,75€ – 10,50€ – 10,50€ (charges diverses) – 8,75€ (commission Groupon) = -21€. Un revenu négatif. Ce n’est pas du manque à gagner mais bien de la pure perte. Continuons le raisonnement à la marge :
1 client « normal » + 1 client à -50% occasionnent une perte de 15,75€
2 clients « normaux » + 1 client à -50% occasionnent une perte de 10,50€
3 clients « normaux » + 1 client à -50% occasionnent une perte de 5,25€
4 clients « normaux » + 1 client à -50% n’occasionnent ni perte ni gain. Solde = 0€.
Autrement dit, le seuil d’équilibre pour ce restaurant est de 25% de clients Groupon pour 75% de clients payant le prix normal mais cette proportion doit osciller entre 20 et 30% selon les caractéristiques de l’établissement. Appliqué à la capacité de la salle qui est égale à 40 couverts, l’équilibre se situe ici à 32 couverts « normaux » et 8 au prix discounté.

Dans ce cas de figure, l’opération est faisable dans la mesure où l’intégralité des charges est payée et où le restaurateur peut se dispenser de faire des bénéfices ou n’a pas de nouvel investissement à réaliser. Mais la réalité est tout autre. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’aller glaner uniformément huit couverts par service, mais de mieux remplir une salle qui connaît des hauts et des bas de fréquentation et qui est souvent vide. Mais attention, il suffit de quelques couverts « de trop » à -50% pour que la perte gonfle.

Si l’opération de promotion est un succès, c’est une déferlante de réservations qui va parvenir au restaurant. Il faudra gérer le téléphone, refuser des clients, entendre les mécontentements, étaler la durée de l’opération pour l’honorer… Tout cela risque fort de pénaliser la qualité de service et est contraire aux principes mêmes d’une méga promotion. Et là se trouve un deuxième paradoxe : Groupon fait des one day deals, des achats groupés sur une seule journée dans l’objectif de recueillir des centaines, voire des milliers d’acheteurs en souhaitant que la période de validité soit courte afin d’empocher sa commission le plus rapidement possible alors que le restaurateur doit viser le seuil au-delà duquel la rentabilité devient négative, donc y aller avec modération.

La conclusion est que les opérations à -50% minimum dont Groupon est le leader mondial sont économiquement jouables en restauration à condition de limiter drastiquement la proportion de clients porteurs du fameux coupon par service. Faute de parvenir à cette souplesse l’opération est extrêmement risquée. Et les offres ne vont pas manquer de se généraliser avec leur apparition chez les opérateurs majeurs de l’Internet et des médias sociaux tels que les FaceBook Deals, les Google Offers et autres Offres Spéciales de Fourquare sans omettre l’arrivée de LivingSocial. Pour mémoire, il existe en France au bas mot 56 sites de promotions groupées, 30 sites agrégateurs de promotions groupées et même des sites de revente des coupons.

 

 

PS. Nouveau : sous le bloc destiné à poster un commentaire le bouton « +1 » de Google a été ajouté à la droite des autres boutons de partage. Vous pouvez dorénavant partager cet article sur les médias sociaux en un clic. Vous êtes également inviter à rejoindre (« like ») la page Service Attitude sur Facebook

Suivez, rejoignez Service Attitude sur Facebook, Twitter, Linkedin, Scoopit, Pinterest

5 Responses

  1. Merci pour ce nouvel article sur Groupon et autres deals.

    Sachant que l’un des problèmes majeurs concerne également la notoriété du restaurant : les clients qui viennent par Groupon ne sont pas les clients habituels. Ils n’aiment pas forcément ce qu’ils trouvent dans l’assiette du restaurateur puisqu’ils font un « coup » et non pas un achat réfléchi. Du coup, s’ils ne sont pas satisfaits, ils communiquent mal sur le restaurant. Comme ce sont des habitués d’internet, ils mettent immédiatement des avis négatifs sur les sites spécialisé, très difficiles à rattraper. Dans 98% des cas, ces clients ne reviendront pas.

    Construire par ailleurs des repas « spéciaux » Groupon est une autre erreur, puisque l’on va majorer son prix de vente pour récupérer le manque à gagner et donc, finalement, faire payer plus cher des clients Groupon potentiellement mécontents qui communiqueront encore plus mal sur le restaurant…

    Conclusion, c’est un cercle vicieux dans lequel il vaut mieux ne pas rentrer.. Groupon fait non seulement perdre de l’argent, mais aussi des clients et de la notoriété. Pour remplir son restaurant, mieux vaut proposer des remises acceptables ou des offerts sur les moments les plus creux, ou/et concentrer ses campagnes de communication sur ces moments de l’année ou du mois (news letter, carte de fidélité, communication presse, événementiel…). Le prix de ces campagnes est bien inférieur au prix global Groupon et ramène des clients qui reviendront et qui communiqueront positivement sur le restaurant.

  2. HERSANT

    Une approche astucieuse qui va faire réfléchir plus d’un restaurateur … un bel exercice de calcul qu’il m’a fallu relire deux fois ! Mais c’est vrai que les maths et moi !!!

  3. Pingback : Que penser des Citydeals ? | Anticyclone Strategy

  4. de Coen

    Bonjour,

    Interessant ce calcul RBE restaurateur. Mais il peut y avoir tellement de paramètres, comme un menu servi avec ou sans vin. Les coef dans le vin sont les plus élevés (coef = PV/Prix d’achat) et si vous formulez un menu sans vin, vous pouvez miser sur un RBE supplémentaire lié a la vente additionnelle de vins non remisés. Mais il est vrai que la non augmentation des frais de personnel parait être la condition sine qua non pour s’en sortir. Ou si les frais de personnel doivent augmenter, il faut pouvoir parier fortement sur la revisite de ces clients sans remise.
    Effectivement, ca parait tres risqué dans la restauration parce que, en supposant lisser l’apport de clients sur réservations, le restaurateur travaille avec un RBE a 0, et doit miser fortement sur la revisite des clients. Et la, ca dépend du souvenir laissé au client et du profil du client. Ce sont très souvent des chasseurs de promos dans la restauration, des zappeurs qui passent d’une bonne affaire à une autre. J’en ai rencontré des frénétiques qui collectionnaient jusqu’a 10 bons dans différents domaines, tellement heureux de jouir de la vie a prix Groupon !
    J’ai aussi rencontré des commerçants plus malins, et qui misaient avec succés sur des ventes additionnelles ou des revisites. Ex : un caviste qui organisait des stages d’oenologie (avec un RBE a zero avec un cours rempli de clients Groupon), et qui parvenait a vendre a certains les vins goutés précedemment. Ou une manucure qui assurait un deal de pose de faux ongles.. qui nécessitent un entretien obligatoire et régulier.
    La vente de bons d’achat (je prefere ce terme car la vente groupée c’est autre chose, la le deal est toujours est servi) poursuit donc sa croissance tirée par les commerçants crédules (les commerciaux de Groupon et de ses concurrents ont faim), et ceux qui réussissent à tirer profit du système Groupon.
    De l’autre côté, des clients chasseurs de promos, qui finissent par se convaincre que le vrai prix d’une prestation est plutôt de 50% du prix affiché.
    Je vois 2 problèmes lié au système Groupon : d’une part, de nombreux commerçants qui se laissent convaincre sans anticiper le flux de nouveaux clients, et qui s’exposent à des conséquences fâcheuses. Et d’autre part, des clients qui ont abaissé de 50% la valeur des services qu’ils ont consommé. Si c’est un service ponctuel comme un massage ou un spa, je parierai qu’ils n’y reviennent que via des deals Groupon en passant d’un prestataire a un autre.
    Au milieu, des commerciaux de plus en plus affamés car le commerçant crédule se fait plus rare.
    La suite promet d’être intéressante.
    Cordialement,

    Patrice

    PS : j’espère que ma logorrhée ne vous a pas importuné 😉

  5. Pingback : La restauration est à nouveau malade, oui mais pourquoi ? | Service Attitude

Laisser une réponse

Retype the CAPTCHA code from the image
Change the CAPTCHA codeSpeak the CAPTCHA code