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Que faut-il penser des « one-day-deals » et de Groupon ?

Par Thierry Poupard

Tout le monde connaît Groupon ou a entendu parler du leader des opérations en achats groupés de consommateurs dont chaque offre, assortie d’une énorme réduction de prix (50% minimum), doit être souscrite dans la journée. En novembre dernier j’avais déjà écrit pour avertir les restaurateurs des risques inhérents pour leur activité s’ils étaient tentés par l’aventure – Que peut attendre la restauration des opérations à prix cassés, des discounts à -50% ? – Aujourd’hui je réitère cette mise en garde pour cause d’actualité.

La recherche de prestations low cost, des produits hard discount, des ventes flash et des bonnes affaires relève d’une logique de comportement tout à fait compréhensible pour un bon nombre de consommateurs : pourquoi payer un produit ou un service « plein tarif » s’il est possible de l’obtenir à moindre prix ? L’idée initiale des fondateurs de Groupon correspond ou répond à cette logique et cela fonctionne d’ailleurs particulièrement bien puisque la société créée en 2008 annonce 50 millions d’utilisateurs, un CA de 500 millions de dollars et est valorisée à 25 milliards de dollars ! Mais d’aucuns et non des moindres, tels Warren Buffet que l’on ne peut pas taxer de timoré lorsqu’il s’agit d’investir en bourse, a déclaré le 25 mars dernier à Bloomberg que les sites de médias sociaux étaient surévalués (Social-Networking Sites Overpriced Ahead of Public Offerings), article repris en français par BFM : Verra-t-on exploser une bulle internet en 2011 ? Le milliardaire américain s’interroge sur ces valorisations astronomiques de sociétés dont le fonds de commerce repose sur un fichier plus ou moins volumineux et renseigné d’utilisateurs.

Deux phénomènes se sont passés récemment : le 19 mars, L’Expansion publiait Groupon aurait-il mangé son pain blanc ?. Extrait : « Rattrapé par son concurrent Livingsocial sur ses plus gros marchés (les grandes villes américaines), accusant une baisse d’audience au mois de février d’après TechCrunch, Groupon semble perdre un peu de son aura. La société vient aussi de perdre son président et un deuxième cadre dirigeant qui ont démissionné ». CNN annonce que les ventes de Groupon ont diminué de 13% depuis le début de l’année et le blog Yipit consacré aux deals donne des chutes de 30% en février et 32 en mars, ce que l’American Express Business Insights explique par le fait que les consommateurs américains sont saturés de ces offres qui débordent quotidiennement de leur boite mail et ils s’en détournent.

La seconde préoccupation est que ces « mega deals » génèrent une quantité grandissante de déboires financiers chez les commerçants qui s’y adonnent. Groupon a dû faire face à sept procès pour le seul mois de mars de cette année, alors qu’elle en a eu huit au cours de l’année 2010. Attaqué au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, en particulier pour publicité mensongère, la société est devenue selon PaidContent.org « un aspirateur ou au aimant à procès », A Lawsuit Magnet. Et pas plus tard que la semaine dernière, en Belgique, le message publié sur Facebook par la directrice de la boutique Escale Design à propos de son contentieux avec Groupon a fait du bad buzz (même si Facebook a curieusement supprimé le message le lendemain…) sur Twitter et une multitude de blogs, pour être enfin relaté dans ce reportage du samedi 2 avril au journal de 13h de la RTBF, à la 21è minute.

En fait, il convient de relativiser : le succès des opérations de type Goupon est variable selon le modèle économique du commerçant et totalement inadapté à certains secteurs. Exemples. Une salle de cinéma a beau être vide, la séance démarrera à l’heure prévue, alors pourquoi ne pas remplir les sièges de clients payant le billet moitié prix ou moins encore. Un revendeur de scooter a un stock important dont il veut se défaire ? Il a intérêt à faire une forte remise groupée pour voir partir tous ces deux roues rapidement. Si le coach se désespère dans une salle de sport largement équipée en machines de tous genres, autant proposer un deal à -50% qui fera venir plein de clients pour les faire tourner. De même pour les salons de soins et de massages : tant qu’à payer des esthéticiennes mieux vaut que ce ne soit pas à ne rien faire mais à s’occuper de clients du matin au soir quitte à ce qu’ils ne payent que 40% du prix tarif. Si une société qui propose des balades en hélicoptères a des pilotes oisifs, elle devrait proposer un tour à prix cassé dont le rabais permet de néanmoins de couvrir le temps de vol. Vous l’aurez compris, ces opérations ne risquent pas de mettre en péril les finances de ces commerces et peuvent même s’avérer positives car elles n’entrainent aucune augmentation des frais variables, ou si peu. Et si la marge de l’établissement est élevée, un discount important peut passer sans causer de dégâts.

Dans la restauration, c’est tout le contraire : chaque client qui entre entraine une augmentation des dépenses en salaires, charges, et naturellement en produit. En masse salariale tout d’abord parce quand deux personnes suffisent pour servir une salle à moitié vide, une troisième sera nécessaire si elle est pleine, ou tout au moins faudra-t-il allonger les horaires de services. Quant au coût matière, il est strictement proportionnel au nombre de plats et boissons servis. Contrairement aux exemples ci-dessus, plus il y a de clients dans un restaurant et plus ça coûte, les frais variables représentant la majorité des charges. Voilà pourquoi le système Groupon ne peut pas être rentable pour les commerces, restauration en tête, où l’opération nécessitera un surcroit de temps passé et/ou de personnel, donc un accroissement des charges directement liées à la promotion. Pour un restaurant dont le revenu brut d’exploitation oscille autour de 15%, comment peut-on imaginer préserver ne serait-ce que l’équilibre avec un grand nombre de repas vendus à -50% pendant trois, quatre ou six mois ? (A moins que l’établissement n’ait de grosses réserves de trésorerie…) Le revenu ne sera plus de 15% mais de 10 ou moins encore. Et à ce niveau, la rentabilité sera négative car les charges, taxes et autres investissements obligatoires ne diminuent pas. Quant aux effets que cela exercerai sur des chaînes, je vous laisse imaginer.

Enfin, il me reste un mot à évoquer à propos de ces opérations : les deals promotionnels quotidiens vont à l’encontre de la satisfaction client et de la fidélisation aujourd’hui vénérées par à peu près toutes les entreprises. Là encore, il faut relativiser : dans l’exemple du vol en hélicoptère, il y a peu de chance que le client motivé soit déçu et la probabilité qu’il devienne un client fidèle est quasi nulle. S’agissant d’un achat exceptionnel ou d’une activité que l’on ne réalise qu’une fois dans sa vie, une opération de type Groupon peut s’avérer intéressante pour le commerçant. Le coupon peut même être prétexte à un cadeau. Mais pour la majorité des secteurs où il y a une répétitivité dans les visites des consommateurs, bien naïf le commerçant qui s’imaginerait faire revenir des clients qui ont découvert l’établissement grâce à un super deal. S’ils ont pris un repas à moitié prix un jour, pourquoi reviendraient-ils le payer au tarif normal une autre fois ? Ce client retournera au restaurant quand il y aura un autre deal, quand il aura un autre coupon à -50% en main. On n’est pas chasseur de prime un jour et client « normal » le lendemain et la multiplication des offres promotionnelles va à l’encontre des efforts déployés par certains pour accroître la fréquence de visite des clients. Quant à dire que de telles opérations servent à faire connaître l’établissement, c’est certain, mais une notoriété à laquelle l’image d’un endroit où l’on paye moitié prix est étroitement associée…

J’espère avoir fait la part des choses et raisonné avec bon sens (une vraie valeur qui tend à disparaître…) pour alerter certains commerçants et surtout les restaurateurs pour lesquels le système ne s’applique pas sans risque. Il existe bien d’autres moyens, off line et on line, pour augmenter la fréquentation d’un établissement sans tomber dans le hard discount.

 

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5 Responses

  1. Bonjour Thierry

    Je suis tout à fait d’accord avec toi et j’avoue que je suis surpris de voir les restaurateurs se lancer dans ce type de promotions, sachant que la marge est très faible sur la restauration.
    Comme tu l’expliques très bien, les coûts variables sont très importants ce qui est moins vrai dans l’hôtellerie par exemple.

    Prenons par exemple un restaurant qui fait 50 couverts par service
    Le panier moyen est de 40€ avec un coût matière de 20€
    La marge générée par service est donc de 50x(40-20) = 1000 €

    Supposons maintenant que ce restaurant baisse son prix de 25% pour attirer de nouveaux clients.
    Le panier moyen devient alors de 30€. Sa marge par couvert est donc dorénavant de 10€ (le coût matière ne baisse malhureusement pas …).
    Pour générer la même marge globale de 1000€, il lui faudra servir 1000/10 soit 100 couverts soit 2 fois plus qu’avec un prix normal.

    Avec ces hypothèses, baisser son prix de 25% demande donc de doubler le nombre de couverts (+100%) pour générer la même marge.
    Sans compter bien sûr l’éventuel sur-coût lié au recours à des extras pour assurer un service convenable, comme tu le dis dans ton article …

    Capter une nouvelle clientèle n’est pas qu’une affaire de prix.
    Ce qui compte aussi, c’est de capter une clinetèle « rentable » !

    Merci Thierry de nous faure partager ton point de vue sur ces sujets.
    Xavier

  2. Merci Xavier et Thierry. J’ai lu votre article avec attention. Hélas je ne retrouve plus votre réponse dans le HUB Viadeo en réponse à mon article sur les Arnaques aux deals.
    Je vs rejoins en tant qu’agence « conseil » auprès de nos clients qui souhaitent booster leur activité en pensant qu’un deal va les propulser au firmament du chiffre d’affaire. Ils réalisent très vite hélas que les seuls gagnants sont avant tout les gros diffuseurs qui les exploitent en leur reversant une recette bien au dessous de leur prix de revient, les forçant ainsi à travailler à perte, et les acheteurs de l’autre côté, qui ne se préoccupent pas de se poser la question de la « faisabilité » économique d’une telle réduction sur un produit.
    Lorsque les diffuseurs Groupon et autres cesseront de faire LEUR publicité, lorsque dans une ville, ils ne trouveront plus de commerçants pour se faire exploiter à longueur d’année, alors ils n’auront plus la possibilité d’acheter quoique ce soit à de tels prix car les commerçants auront compris depuis longtemps le côté pervers de la chose.

    Un bon deal, au sens littéral du terme signifie une « bonne entente », cad que les deux parties sont satisfaites : le commerçant a fait un effort sur sa marge, l’acheteur de son côté, a trouvé un rapport qualité/prix intéressant et qui lui donne satisfaction. Le commerçant a ainsi toutes les chances de fidéliser cet acheteur à l’avenir.

    Que les acheteurs se réveillent : nous n’allons pas devenir un pays de consommation LOW-COST. Bien au contraire, demain, ceux-là mêmes qui utilisent sans scrupule et sans se poser de question, un produit dont ils savent pertinemment qu’il est en dessous du seuil de rentabilité pour son prestataire professionnel, ces mêmes acheteurs ne trouveront plus de deals du tout et nulle part. Par contre, ils risquent soudainement de trouver la vie subitement très chère .

    Sans parler des exclusivités « arnaquiennes » appliquées par groupon entre autre telle que ooffrir une page partenaire GRATUITE sur leur site avec interdiction contractuelle pour le commerçant de diffuser son produit ailleurs que chez groupon pendant 1an sous peine d’une amende de 3000€. On peut en effet se demander pour qui roule groupon et il est naturel de penser : ils roulent pour eux bien sûr en toute priorité !
    Ne rêvez pas Messieurs les acheteurs qui avez été satisfaits sur un deal. Cela ne va pas durer car la quadrature du cercle n’existe toujours pas : si votre produit est tellement déstocké, c’est au détriment de la qualité ou du service, peut-être pas cette fois-ci, mais la prochaine, c’est sûr. Il suffit de lire les commentaires d’insatisfaction sur le site groupon, my groupon, les forums, les réseaux etc…..

    Accepteriez-vous que votre employeur vous fasse travailler à la « Groupon Style » en vous disant : je vous donne du travail. Votre salaire de 2000€ devient 1000€ et vous toucherez 500€ en fin de mois car je perçois une commission. Si votre achat est au groupon style, pourquoi votre emploi ne le serait-il pas?

    Il serait temps que vous respectiez un peu plus les professionnels et les commerçants car vous ne pourrez jamais avoir un rubis au prix d’une pierre en plastic achetée au Bazar de la Foirfouille, ou trouvée ds un vide grenier !
    Encore une fois, le pays est divisé en deux : les profiteurs et les exploités. Ceci ne vous rappelle rien?
    Un peu plus de prise de conscience, un peu moins d’égoïsme, d’individualisme, un peu plus de respect pour les professionnels, et un peu plus de solidarité.

    Je donne le droit à Thierry de diffuser notre article « sans modération »

    CB DE SAINT GILLES
    http://www.canalcom.eu
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  3. hyunpark

    Bonjour Thierry

    Je suis restaurateur, j’ai signé le contrat avec un commercial de Groupon il y a 10 heures ils m’a même pas donné le contrat , J’avais pas très bien compris le prix de menu, comme je suis étranger par fois….donc,
    je voudrais l’annuler. il suffit de leur envoyer une lettre recommandée? et ensuite,l’exclusivité de 2 ans Elle s’arrête? Comment je doit faire?

    Merci Thierry en avance.

  4. Thierry Poupard

    Bonjour Hyunpark.
    Vous auriez du lire mes articles sur Groupon avant toute chose. Si vous n’avez rien signé, vous ne vous êtes pas engagé et vous ne faites pas l’opération, c’est tout. Pas besoin de recommandé. Si, par contre, vous avez signé un document (pas le contrat d’après ce que vous dites), là Groupon va vous mettre la pression pour honorer votre engagement. Peut-être que le recommandé sera nécessaire, mais je ne connais pas la procédure d’annulation. L’exclusivité de 2 ans n’a lieu d’être que si vous avez signé et réalisé une opération.
    Désolé de ne pas pouvoir mieux vous aider, je suis suis pas juriste.
    Bonne chance et tenez-moi au courant.
    Bien cordialement.
    Thierry

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