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« Payez ce que vous voulez » : tactique anticrise ou modèle économique ?

Par Thierry Poupard

Depuis quelques temps, on parle beaucoup des offres de type « payez ce que vous voulez » ou bien « payez ce que vous pensez que ça vaut » ou encore « Pay What You Want » et « PWYW » in English. La restauration s’y est mise, l’hôtellerie aussi et nombre d’autres commerces, en ligne ou pas, également.

Un concept pas si nouveau que ça puisque le groupe Radiohead innova dès 2007 en proposant aux internautes de télécharger leur dernier album au prix qu’ils estimaient devoir le payer. Au final, le prix moyen fut de quatre Livres – moins que le prix d’un CD à l’époque – mais le « buzz » fut important et, peut-être, suffisant pour générer un volume des ventes propre à compenser la faiblesse du prix. Depuis, la tactique a fait des émules, surtout pour lutter contre la faiblesse de la fréquentation des établissements pour cause de crise.

Le restaurant Little Bay près de Londres a ouvert le bal en début d’année. Son propriétaire affirme que le succès est au rendez-vous, mais il reste discret sur le montant moyen des additions, le manque à gagner ou les pertes éventuelles. En Asie, un nouvel hôtel de la chaîne Ibis inauguré en février à Singapour proposait à ses clients de fixer eux-mêmes le prix de la chambre pendant une période de temps limité. D’ordinaire, 138 dollars singapouriens (environ 68 Euros) pour le premier prix. « Nous pensions que les gens allaient faire des réservations pour un dollar, mais nous avons enregistré des réservations pour 70 ou 80 dollars, ce qui est une bonne surprise et ce qui confirme que nos clients apprécient nos services », a commenté le directeur du marketing de l’hôtel (Reuters). Curieuse façon d’apprécier le niveau du service client quand le prix payé n’est que la moitié du tarif de base… Et encore, est-ce le prix moyen ? De toutes façons l’opération est terminée.

En France, dans la restauration, Nicole Barthélémy a repris le concept dans son restaurant marseillais La Rose de Marmara, chaque mercredi midi. Et elle donne quelques chiffres : « Ca a eu un effet détonateur pour remplir la salle, se réjouit-elle. Les clients paient entre 7 et 10 euros le menu (qui en vaut 16), mais consomment plus de boissons payantes et reviennent les autres jours et le soir ». Espérons qu’il en soit ainsi et que ça se maintienne parce que, encore une fois, le prix payé est deux fois moindre que le prix « normal ».

D’où, de multiples questions qui se posent à propos du « payez ce que vous voulez », du PWYW : est-ce rentable, faut-il fixer un prix plancher pour éviter la vente à perte, est-ce une réponse à la crise, est-ce un bon moyen d’évaluer la vraie valeur du produit / du service sur le marché, ne serait-il pas plus fort de proposer la gratuité de la prestation, ne vaut-il pas mieux avoir une prestation « low cost », peut-il se généraliser dans des secteurs comme le voyage, le spa ou la mode, peut-il s’inscrire dans la durée ? Les réponses ne sont pas si simples, mais il y a des arguments :

Pour
– Impact. Pour lancer un produit, la démarche peut être intéressante à la condition expresse que la rumeur soit très importante pour créer du trafic quand il n’y en a pas. Mais ce trafic gagné un jour se maintient-il pendant le reste de la semaine où les prix à payer sont ceux affichés ?
– Seul le volume des ventes peut faire de l’opération un succès car c’est tout le contraire d’une stratégie marketing de gains à la marge.
– Concept osé, risqué et à utiliser avec parcimonie parce que, comme beaucoup de phénomènes nouveaux copiés et dupliqués à l’envie, le PWYW risque de s’user vite.
– En tous cas, moins risqué que l’offre utilisée par certains : repas gratuit tel jour de la semaine. Résultat : restaurant plein à craquer le dit jour (mais imaginez la qualité du service !) et désert les autres (et maginez les pertes !) Totalement suicidaire.

Contre
– Le constat de départ est que, dans les exemples mentionnés ci-dessus, le prix payé est pratiquement deux fois moindre que le prix réel ou normal.
– Ce qui semblerait signifier que le consommateur n’a pas vraiment idée de ce que coûte réellement un produit ou un service puisqu’il le dévalue de 50%. Ou alors, il se sert du concept comme d’une sanction contre la vie chère…
– Si l’on peut être tenté de faire confiance aux consommateurs, de se dire qu’ils vont jouer le jeu, il faut savoir qu’ils ne disposent d’aucun repère pour estimer ce qui doit être le « juste » prix. Une marchandise, une prestation, un produit peut être aussi bien surévalué que sous-estimé, fortement, sans justification.
– Le consommateur peut s’habituer au concept et, imperceptiblement, payer de moins en moins au fil de ses visites et faire doucement baisser le chiffre.

Les arguments contre pèsent plus lourd que ceux en faveur de cette tactique qui ne peut s’apparenter à un modèle économique. Ce n’est pas le rôle du consommateur de fixer la valeur d’un produit ou d’un service. S’offrent déjà à lui les soldes incessantes, un nombre croissant de marques, de produits et de services low cost, des hard discounter à chaque coin de rue, des sandwiches à un Euro, des promotions et prix cassés tous azimuts… De telle sorte que les acheteurs malins sont pro actifs vis-à-vis des prix de ce qu’ils achètent en choisissant les lieux, les périodes, les prestataires. Ils ne fixent pas les prix mais achètent quand le niveau leur convient.

Quant aux professionnels de certains secteurs, ils vont déjà dans le sens du client, dans le sens de ce que le client est prêt à payer en baissant certains prix, de certains produits à certains moments, sous certaines conditions. C’est ce que l’on appelle le Revenue Management qui est le quotidien des hôteliers et des transporteurs aériens ou ferroviaires et que d’autres secteurs d’activité pratiquent, en nombre grandissant, sans trop le savoir. D’ailleurs la restauration l’utilise déjà en dissociant formules à midi et carte le soir créant ainsi un tarif pour le déjeuner et un autre pour le dîner. C’est bien que le midi, le client n’est pas prêt à payer ce que le restaurateur voudrait. Ce modèle économique, duquel la quasi totalité des commerces peut se réclamer, systématise le fait que les prix (et les services) doivent avoir une élasticité en osmose avec celle des consommateurs, que ce soit en termes de demande, de rareté, de période, de concurrence et de pouvoir d’achat. Sachant qu’un élastique ne doit jamais être ni relâché ni trop tendu…


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3 Responses

  1. J’ai retenu ce mode de rémunération pour mon cabinet d’avocat spécialisé en droit immobilier, d’abord pour les consultations, puis pour les rédactions et examens d’actes et maintenant pour le contentieux.

    Mon activité s’exerce quasiment en totalité via l’internet.

    L’objectif était de permettre l’accès aux consultations juridiques d’un public qui est souvent hésitant à pousser la porte d’un cabinet d’avocat, craignant en particulier de ne pas avoir la maîtrise du coût des prestations. Il était surtout et il le reste un moyen de sensibiliser ce même public à la nécessité de consulter avant de s’engager dans une opération immobilière, quelle qu’elle soit, ou a fortiori dans un contentieux.

    Pour le professionnel, le bilan économique est satisfaisant. Les offres de rémunération sont en moyenne du même niveau que celles résultant d’un tarif imposé par ce professionnel.

    Mais il n’y a pas plus de demandes de consultations qu’avec le système précédent traditionnel. C’est décevant. Les particuliers et aussi les professionnels s’engagent sans s’assurer préalablement des conséquences de leur engagement.

  2. Bonjour Thierry,
    Bravo pour ton article.
    En ce qui me concerne, je trouve ce concept du PWYW assez détestable. Il s’agit là d’un gadget qui dévalorise le restaurateur et qui à mes yeux relève de la « mendicité » commerciale. Messieurs les restaurateurs, faites bien votre métier, vendez le au juste prix et faites en sorte que cela se sache !… et vous verrez, vos clients viendront et reviendront .
    A bientôt

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